A l’été 2016, j’ai traversé l’Iran avec mon sac sur le dos, de la capitale Téhéran à Shiraz, la ville des poètes. Un voyage en solitaire et au féminin… Enfin, c’est ce qui était prévu! C’était sans compter sur la curiosité des Iraniens. Récit d’un périple étonnant au pays des selfies et des salutations sans fin.

Avant mon départ, mes amis en France se sont inquiétés que je parte seule en Iran. Ils me demandaient si je n’avais pas peur. Ce pays du Moyen-Orient est encore entouré de nombreuses craintes et de clichés. Quand j’étais sur place, les Iraniens avaient la même réaction. Ils n’ont pas l’habitude de voir une étrangère s’aventurer seule sur les routes. Même les voyageurs étrangers que je rencontrais sur place, qui avaient pu constater la sécurité dans le pays, me demandaient si je n’avais pas peur. Finalement, tout le monde s’inquiétait… sauf moi! Pour moi ce n’était pas vraiment la question. J’ai l’habitude des voyages au long cours dans des régions réputées “difficiles” pour les femmes. J’ai voyagé seule dans de nombreux pays, de la Mauritanie à l’Inde en passant par l’Egypte, la Syrie et la Palestine. Pour l’Iran, je m’étais renseignée à l’avance à travers les forums et les témoignages et j’avais lu que c’était un pays sûr. Question sécurité en tant que femme seule, je ne me faisais donc pas de souci. En revanche, comme avant chaque voyage en solitaire, je me demandais si j’arriverais à rencontrer des gens… Ma crainte, c’était plutôt l’ennui !
Mes doutes ont été très vite dissipés. A ma grande surprise, les Iraniens se sont révélés extrêmement curieux à l’égard des étrangers. J’étais constamment abordée par les gens. On me saluait tous les cinq mètres, on me demandait d’où je venais, on me proposait un thé ou on me demandait de poser pour un selfie. Ça n’arrêtait pas! Je n’avais jamais vécu un tel accueil en voyage. Nulle part. Pourtant, j’ai connu de nombreuses populations accueillantes, en Palestine, au Sultanat d’Oman, au Sénégal ou encore au Liban. Mais c’est incomparable avec les Iraniens. J’ai ressenti chez eux une véritable avidité de rencontres avec les étrangers. Résultat, j’ai voyagé en solitaire mais je n’ai pas passé une seconde toute seule.

J’ai chanté sous les ponts d’Ispahan
Un jour, à Ispahan, j’ai enchaîné les rencontres à un rythme presque effréné. Le matin, je suis partie me promener sur les berges de la rivière Zayandeh. Un agréable îlot de verdure au cœur de la cité, où les Iraniens adorent se balader. Les ponts qui enjambent la rivière sont de toute beauté. Sous les arcades du Pol-e-Khaju, un pont à deux étages construit au 17ème siècle par le roi Shah Abbas II, des hommes se réunissent tous les jours pour chanter. Tour à tour, ils entonnent des chants traditionnels, a cappella. Impressionnée par leurs voix, je décide de rester et d’écouter. A peine suis-je arrivée que l’un d’eux me dédicace une chanson. Quel accueil ! Quelques minutes plus tard, il me demande si je suis mariée… Il y avait bien une raison à cette marque d’attention!
Assise à côté de moi, une Iranienne s’enthousiasme pour ces chants improvisés. Foulard à fleurs, lunettes de soleil et tunique blanche, elle se met à taper des mains et à chanter. Je fais de même. Intriguée par cette touriste qui chante avec elle, la jeune femme se tourne vers moi. « Where are you from ? », me demande-t-elle avec un accent américain. Firouzeh vit aux Etats-Unis depuis une quinzaine d’années. C’est la première fois qu’elle est de retour dans son pays. Très vite, elle me prend sous son aile. « Ca parle de l’attente de l’être aimé », m’explique-t-elle. « Comme toutes les chansons traditionnelles ! », rajoute-t-elle en rigolant. Nous nous mettons à chanter ensemble, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. A ma surprise, j’arrive à capter quelques mots. Je chante alors de plus belle, encouragée par Firouzeh. Avant de venir en Iran, je ne parlais pas un mot de persan. En revanche, je parle couramment l’arabe et c’est très utile ! Après la naissance de l’Islam au 7ème siècle, la Perse a été conquise par les Arabes. La langue du pays est restée le persan, mais de nombreux mots arabes y ont été intégrés. Ainsi, même si les deux langues n’ont rien à voir – la première est indo-européenne, la seconde sémitique – j’arrive à comprendre une quantité de mots !
Plus on chante et plus l’homme donne de la voix. Très vite, un petit attroupement se crée. Des femmes se mettent à chanter avec nous. Le chanteur est repris en cœur par ses compères. Le temps d’un instant, hommes, femmes et étrangers sont réunis pour un moment de musique improvisé. Nous passons ainsi une bonne heure, Firouzeh et moi, côte à côte, à chanter, nous balancer, applaudir nos stars d’un jour. A la fin, on se salue et chacune repart de son côté. Une « pote de concert » éphémère !


Un simple « salam » et c’est parti
Après cet épisode musical, je me remets en route direction le Si O’Seh Pol, le pont aux 33 arches. Également construit sous la dynastie safavide, c’est le plus célèbre d’Ispahan, et le plus apprécié. Il ne désemplit jamais. Les familles s’y promènent, les groupes d’amis y papotent et les amoureux y jouent à cache-cache entre ses arches.
Alors que je me balade à l’ombre des arcades, je passe à côté de trois jeunes. « Salam », me lance le garçon, un peu au hasard, sous le regard curieux de ses deux copines. J’aurais pu répondre un simple « salam » en retour, mais j’ai le temps et ils ont l’air marrants. Je m’arrête et j’engage la conversation. Ils ne s’y attendaient pas et pouffent de rire timidement. L’une des deux filles a un anglais très limité mais tient malgré tout à me parler d’elle. « J’étudie l’art à l’université. J’ai une option d’anglais mais je ne vais jamais aux cours », me confie Setareh difficilement. « Je devrais y aller, en fait ! », ajoute-t-elle en riant.
Sa copine Yasameen me demande si je peux la photographier avec mon réflex. Commence alors une séance photo sous le pont. La longue allée d’arcades donne un background parfait. Après elle, c’est au tour de Setareh de se faire tirer le portrait. Les deux filles font les belles devant la caméra et deviennent dingues quand elles voient le résultat sur l’écran. « Tu n’oublieras pas de me les envoyer, hein ? », s’exclame Yasameen. Je me demande bien à qui elle veut absolument montrer ces photos..! Je note son adresse mail puis je les salue. Je repars amusée par ce qui vient de se passer : un simple “salam” a donné lieu à une heure de papotages, de selfies et de rigolades.


Résultat, il est déjà 14 heures passées. Moi qui croyais terminer ma balade sous les ponts dans la matinée. J’essaye de me dépêcher de rejoindre la grande place d’Ispahan, où j’ai encore plusieurs mosquées à visiter. J’en ai pour une bonne demi-heure de marche. Je m’arrête « rapidement » prendre un jus de fruits.
J’ai commandé un jus de fruits, j’ai reçu un cadeau
Je commande un mix melon-ananas dans une petite échoppe de rue. « Impossible », me répond le vendeur de jus. Étonnée, je lui demande pourquoi. « C’est comme ça, on ne peut pas mélanger ces deux fruits ! ». Comme je suis un peu têtue, je cherche à en savoir plus. Un couple d’Iraniens attend derrière moi pour commander. « Vous avez besoin d’aide ? », me demande l’homme au physique d’acteur de Bollywood. Je lui explique l’histoire des fruits. Lui non plus ne comprend pas et vérifie auprès du garçon. Il se tourne ensuite vers moi et se présente. « Je m’appelle Saeed et voici Mozhdeh », me dit-il en désignant la jolie jeune femme qui l’accompagne. « On passe la journée à Ispahan pour chercher une robe. On se marie dans un mois », m’annonce-t-il tout fier. Ravis de rencontrer une Française, Saeed et Mozhdeh me proposent de faire un bout de chemin ensemble.

En marchant, ils me racontent leur vie. « J’ai rencontré Mozhdeh au centre des impôts. Pas le genre d’endroit où on imagine trouver sa future femme ! », plaisante Saeed. « J’ai tout de suite flashé sur elle, mais je ne pouvais pas aller l’aborder directement. J’ai demandé à un autre employé son nom, puis j’ai cherché son numéro de téléphone et j’ai appelé sa famille ». Comme cela se fait en Iran, les deux familles ont ensuite arrangé un rendez-vous. « Quand il est venu chez nous, je ne me souvenais même pas de lui », rigole Mozhdeh en sirotant son jus d’orange. Maintenant, les deux amoureux sont sur un petit nuage, impatients de se marier. Le couple le plus mignon que j’ai croisé pendant mon séjour.
Saeed est tellement content de notre rencontre qu’il veut me faire un cadeau. Je déploie une quantité de formules de politesse pour esquiver ! « Mon cadeau, ce sont vos sourires » et d’autres trucs nuls du genre. Il insiste et j’insiste de mon côté. Alors que je croyais tenir bon, il s’engouffre dans un magasin au hasard et nous entraîne, Mozhdeh et moi. « Voilà, choisis ce que tu veux ! », me lance-t-il en me mettant devant le fait accompli! Je regarde autour de moi. On est rentrés dans un magasin de cuirs. Je tente une dernière fois de faire une pirouette pour décliner l’offre. En vain. Saeed est déjà en train de demander conseil auprès du vendeur, qui nous regarde tous les trois, interloqué. Je me retrouve là, avec deux Iraniens que je ne connaissais pas il y a un quart d’heure, à me choisir un cadeau comme si c’était mon anniversaire. Jamais vu ça!
Vaincue, je montre à Saeed un portefeuille qui me plait et je ressors du magasin avec mon petit paquet. On passe finalement une bonne partie de l’après-midi ensemble. Eux oublient la robe qu’ils étaient venus chercher, moi je laisse tomber mes mosquées ! A la place, ils me racontent les préparatifs de leur mariage autour d’une délicieuse glace au safran. Je passe un moment très agréable avec eux à papoter et à rigoler, comme si j’étais avec un couple d’amis. Avant de partir, je n’oublie pas de leur renvoyer l’ascenseur en leur offrant un petit cadeau. Un collier avec un pendentif en forme de Tour Eiffel pour Mozhdeh. “Je le porterai au mariage!”, s’exclame-t-elle, les yeux pétillants. De nombreux Iraniens adorent la France, et Mozhdeh en fait partie.
Pique-nique en famille
Quand je les quitte, il est déjà 18 heures. La nuit tombe et tous les sites touristiques ont fermé. Tant pis, je décide de flâner sur la grande place d’Ispahan. Avec ses 500 mètres de long et 160 mètres de large, c’est l’une des plus grandes au monde. Ses jardins, ses fontaines et les deux majestueuses mosquées qui l’entourent en font l’un des plus beaux sites d’Ispahan, voire d’Iran. Le soir, elle se transforme en une immense aire de pique-nique. Certains viennent en groupe de dix, quinze et parfois plus, avec les nappes, les chaises, et toutes les gourmandises de rigueur pour une belle nuit d’été.

Ça n’y a pas manqué. En quelques minutes, je me fais happer par une famille ! Un simple « hello » lancé dans ma direction, des mains levées, et deux secondes plus tard, je me retrouve assise parterre avec Mohammed, la trentaine, Atefeh, sa femme et toute la famille : Sherifeh, la maman, Hussein le père, la sœur, le mari de la sœur et leur petite fille. Sherifeh m’a tout de suite adoptée. « Azizam » me répète-elle sans arrêt en me caressant le bras. Ça veut dire « ma chérie » en farsi. Elle me donne du pain, du fromage, du raisin vert, et me dit de manger! Je leur sors tout le vocabulaire de persan que je connais. Ça doit se résumer à une dizaine de mots mais ça suffit à les ravir. Mohammed veut me faire progresser. C’est avec lui que j’apprends sérieusement les chiffres de un à dix. Indispensable pour négocier !
Mohammed et sa femme habitent à Istanbul. Lui est ingénieur en informatique. Ils sont là en visite. « Je n’aime pas vivre en Iran. On n’a pas de liberté ici », me confie le jeune homme sans détour. « La Turquie, c’est un peu mieux. Mais après, on veut aller en Europe ». Atefeh me montre des photos d’eux sur une plage en Turquie. Elle n’y porte pas de voile. En Iran, c’est obligatoire pour toutes les femmes, alors forcément elle en porte un. Moi aussi, d’ailleurs, j’en porte un depuis mon atterrissage à Téhéran. Je demande au couple s’ils ont des enfants. « Surtout pas ! », me répond Mohammed. « C’est trop compliqué et ça coûte cher ! Et puis, je suis un enfant moi-même, je ne pourrai pas m’en occuper », ajoute-t-il en riant.

Décliner des invitations
Je passe finalement la soirée avec « ma nouvelle famille », à papoter, manger, rigoler. Partager des choses simples avec de parfaits inconnus, c’est ce que j’aime le plus en voyage. Ce jour-là, je n’ai rien visité : ni musée, ni mosquée, ni palais. Et pourtant, de tout mon voyage en Iran, c’est la journée qui m’a le plus marquée. Pour tous ces gens qui sont venus vers moi, en toute simplicité. Pour tous ces liens que j’ai créés, même éphémères, avec des étrangers. Le genre d’expérience qui balaye en une seconde toutes les idées reçues sur un pays.
D’un coup, je regarde ma montre. Il est près de minuit! Je n’ai pas vu les heures passer. Je salue toute la famille puis je traverse la place en direction de la route pour aller prendre un taxi. La place est encore bondée et je continue d’attirer l’attention. Des mains se lèvent, des gens me lancent des « Hello », des enfants s’approchent de moi, intrigués, très vite rejoints par leurs parents. Je suis obligée de décliner des invitations. J’ai l’impression que je pourrais passer toute la nuit sur cette place à aller de famille en famille !
Expérience personnelle
Tout mon voyage en Iran a ressemblé à cette folle journée. A Téhéran, j’ai goûté à l’abgoosht, le plat national iranien, avec Ramin, un jeune Irano-Péruvien rencontré par hasard dans l’avion ; à Yazd, j’ai parcouru la magnifique vieille ville en pisé avec Sadegh, un urbaniste croisé chez un marchand de légumes ; à Shiraz, j’ai fait toute une aprèm de shopping en compagnie d’Ilham, étudiante en informatique au physique de top model qui m’avait abordée dans un jardin.

J’ai beaucoup voyagé, mais jamais je n’avais rencontré une population pareille. Bien sûr, cette expérience est strictement personnelle. Je suis une femme, donc le contact était facile avec les Iraniennes. De plus, je suis européenne et la France fait rêver bon nombre d’Iraniens. Les choses auraient peut-être été différentes si j’avais été un homme ou si j’avais été noire ou asiatique? Comme je suis d’origine marocaine, je m’amusais parfois à répondre “I’m from Morocco” quand les gens me demandaient d’où je venais. La réaction n’était pas la même que quand je disais que j’étais Française. Moins d’étoiles dans les yeux, plus de points d’interrogation. Certains ne connaissaient pas l’existence du Maroc. D’autres connaissaient de nom mais n’avaient aucune image associée à ce pays.
L’accueil peut donc varier en fonction de l’apparence que l’on a et du pays d’où l’on vient, mais aussi de la personne sur laquelle on tombe. Je n’ai rencontré que des citadins de grandes villes. Les choses sont peut-être différentes dans les campagnes. Enfin, lorsque j’ai fait ce voyage, nous étions au lendemain de la signature des accords de Vienne sur le programme nucléaire. L’Iran s’ouvrait tout juste au tourisme et un vent d’optimisme soufflait sur le pays. Cela peut expliquer cette curiosité, cette avidité de rencontres à l’égard des Européens. Cela changera peut-être avec les années ou avec l’évolution de la situation sur place. A chacun d’aller tester !
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